Le gaz naturel, ressource énergétique majeure de notre époque, se forme discrètement dans les profondeurs de la Terre depuis des millions d'années. Ce processus fascinant implique une série de transformations géologiques complexes, façonnant une source d'énergie qui alimente aujourd'hui une part importante de nos besoins énergétiques. Comprendre la formation du gaz naturel nous permet non seulement d'apprécier la richesse des processus naturels à l'œuvre sous nos pieds, mais aussi de mieux appréhender les enjeux liés à son exploitation et à son impact sur notre environnement. Plongeons dans les entrailles de la Terre pour découvrir les secrets de la naissance du gaz naturel.
Processus géologique de formation du gaz naturel
La formation du gaz naturel est un processus qui s'étend sur des millions d'années, impliquant la décomposition de matière organique dans des conditions très spécifiques. Tout commence avec l'accumulation de débris organiques, principalement issus de planctons et d'algues microscopiques, au fond des océans ou dans des environnements lacustres. Ces restes organiques sont progressivement recouverts par des couches de sédiments, les isolant de l'oxygène et les soumettant à des pressions et températures croissantes au fil du temps.
Sous l'effet de ces conditions extrêmes, la matière organique subit une série de transformations chimiques. Dans un premier temps, des bactéries anaérobies décomposent une partie de cette matière, produisant du méthane biogénique. Ensuite, avec l'augmentation de la profondeur et de la température, le processus de catagenèse entre en jeu. C'est lors de cette étape cruciale que la majeure partie du gaz naturel est générée, notamment à partir du kérogène, précurseur des hydrocarbures.
La transformation du kérogène en hydrocarbures dépend fortement de la température. Entre 60°C et 120°C, le kérogène produit principalement du pétrole. Au-delà de 120°C, la formation de gaz naturel devient prédominante. Ce processus, appelé craquage thermique , peut également transformer le pétrole préexistant en gaz si les conditions de température et de pression sont réunies.
Le gaz naturel que nous utilisons aujourd'hui est le résultat d'un processus géologique millénaire, témoignant de l'histoire ancienne de notre planète.
Composition chimique et types de gaz naturel
Méthane, éthane et autres hydrocarbures légers
Le gaz naturel n'est pas une substance pure, mais un mélange complexe d'hydrocarbures légers. Sa composition peut varier significativement selon son origine géologique, mais le méthane (CH4) en est invariablement le composant principal. En effet, le méthane représente généralement entre 70% et 90% du volume total du gaz naturel. Les autres constituants incluent l'éthane (C2H6), le propane (C3H8), le butane (C4H10) et parfois des traces d'hydrocarbures plus lourds.
Outre ces hydrocarbures, le gaz naturel contient souvent des impuretés non combustibles telles que le dioxyde de carbone (CO2), l'azote (N2), l'hélium (He) et parfois du sulfure d'hydrogène (H2S). La présence et la concentration de ces composés varient selon les gisements et influencent les propriétés du gaz ainsi que les traitements nécessaires avant son utilisation commerciale.
Gaz conventionnel vs non conventionnel
On distingue deux grandes catégories de gaz naturel : le gaz conventionnel et le gaz non conventionnel. Le gaz conventionnel est celui qui s'accumule dans des réservoirs poreux et perméables, facilement accessible par des techniques de forage traditionnelles. Il se forme généralement dans des roches sédimentaires telles que le grès ou le calcaire, où il peut être piégé par des structures géologiques imperméables.
Le gaz non conventionnel, en revanche, se trouve dans des formations géologiques plus complexes, nécessitant des techniques d'extraction plus avancées. Il comprend notamment :
- Le gaz de schiste, piégé dans des roches argileuses à faible perméabilité
- Le gaz de houille, adsorbé dans les pores du charbon
- Le gaz de réservoir compact, emprisonné dans des roches à très faible perméabilité
- Les hydrates de méthane, forme solide de méthane piégé dans des structures cristallines d'eau
L'exploitation du gaz non conventionnel, en particulier le gaz de schiste, a considérablement modifié le paysage énergétique mondial ces dernières années, ouvrant de nouvelles perspectives mais soulevant également des questions environnementales importantes.
Gaz associé et non associé
Une autre distinction importante concerne le gaz associé et non associé. Le gaz associé est celui qui se trouve en solution dans le pétrole brut ou sous forme de "chapeau de gaz" au-dessus du pétrole dans un réservoir. Historiquement, ce gaz était souvent considéré comme un sous-produit gênant de la production pétrolière et fréquemment brûlé à la torche, une pratique de plus en plus remise en question pour des raisons environnementales.
Le gaz non associé, quant à lui, se trouve dans des réservoirs ne contenant pas de pétrole liquide. Ces gisements de gaz "sec" sont généralement plus faciles à exploiter et à traiter, car ils ne nécessitent pas de séparation complexe des hydrocarbures liquides.
Environnements de formation du gaz naturel
Bassins sédimentaires marins
Les bassins sédimentaires marins constituent l'environnement de formation par excellence du gaz naturel. Ces vastes dépressions de la croûte terrestre, remplies au fil des âges par des sédiments, offrent les conditions idéales pour la genèse et l'accumulation des hydrocarbures. Dans ces bassins, la matière organique, principalement dérivée du plancton et des algues marines, s'accumule lentement au fond des océans.
Au fur et à mesure que les couches sédimentaires s'empilent, la matière organique est enfouie de plus en plus profondément. Sous l'effet de la pression croissante et de l'augmentation de la température, elle subit une série de transformations chimiques. Ce processus, appelé diagenèse , puis catagenèse , conduit à la formation du kérogène, précurseur du gaz naturel et du pétrole.
Les bassins sédimentaires marins les plus prolifiques en termes de production de gaz naturel se trouvent souvent dans des zones de marge continentale passive, où l'accumulation de sédiments a pu se poursuivre sur de longues périodes géologiques sans perturbations majeures. Des exemples notables incluent le Golfe du Mexique, la mer du Nord, et le bassin de Santos au large du Brésil.
Deltas fluviaux et lagunes côtières
Les deltas fluviaux et les lagunes côtières représentent un autre environnement propice à la formation du gaz naturel. Ces zones, situées à l'interface entre le continent et l'océan, sont caractérisées par un apport important de sédiments et de matière organique d'origine terrestre et marine.
Dans les deltas, les sédiments s'accumulent rapidement, piégeant de grandes quantités de matière organique avant qu'elle ne puisse se décomposer. Cette accumulation rapide crée des conditions anoxiques favorables à la préservation de la matière organique. Au fil du temps, ces dépôts sont enfouis et transformés, donnant naissance à des gisements de gaz naturel souvent riches en composés plus lourds que le méthane.
Les lagunes côtières, quant à elles, offrent un environnement de dépôt plus calme, propice à l'accumulation de sédiments fins et de matière organique. Ces environnements restreints peuvent conduire à la formation de roches mères particulièrement riches en hydrocarbures.
Zones de schistes et roches-mères
Les zones de schistes, longtemps considérées uniquement comme des roches mères pour les hydrocarbures conventionnels, sont désormais reconnues comme des réservoirs potentiels de gaz naturel à part entière. Ces formations, composées de roches sédimentaires à grains fins, sont riches en matière organique et ont la particularité de pouvoir à la fois générer et stocker le gaz naturel.
Dans ces roches, le gaz naturel est piégé dans des pores microscopiques ou adsorbé sur la matière organique. L'extraction de ce gaz, appelé "gaz de schiste", nécessite des techniques spécifiques comme la fracturation hydraulique, qui soulève des débats environnementaux.
Les roches-mères, telles que les schistes bitumineux ou les marnes noires, sont les "usines" naturelles où se forme le gaz naturel. Riches en matière organique, ces roches subissent au cours de leur histoire géologique des conditions de température et de pression qui transforment progressivement le kérogène en hydrocarbures. Selon les conditions, ces roches-mères peuvent générer du gaz naturel, du pétrole, ou un mélange des deux.
La diversité des environnements de formation du gaz naturel témoigne de la complexité des processus géologiques à l'œuvre dans notre planète, façonnant une ressource énergétique aux multiples facettes.
Facteurs influençant la génération du gaz
Température et pression géothermique
La température et la pression géothermique jouent un rôle crucial dans la formation du gaz naturel. Ces deux facteurs, qui augmentent avec la profondeur dans la croûte terrestre, sont les moteurs principaux de la transformation de la matière organique en hydrocarbures.
La température, en particulier, est déterminante dans le type d'hydrocarbures produits. On parle de "fenêtre à huile" pour des températures comprises entre 60°C et 120°C, où la matière organique se transforme principalement en pétrole. Au-delà de 120°C, on entre dans la "fenêtre à gaz", où la formation de gaz naturel devient prédominante. À des températures supérieures à 200°C, la matière organique résiduelle peut être convertie en gaz sec, composé presque exclusivement de méthane.
La pression, quant à elle, influence la compaction des sédiments et la rétention des hydrocarbures dans les roches. Elle joue également un rôle dans la migration du gaz et son accumulation dans les réservoirs. Une pression élevée peut maintenir le gaz en solution dans le pétrole ou l'eau de formation, influençant ainsi sa distribution dans le sous-sol.
Activité bactérienne anaérobie
L'activité bactérienne anaérobie est un facteur souvent sous-estimé dans la formation du gaz naturel, mais elle joue un rôle significatif, particulièrement dans les premiers stades de la diagenèse. Des bactéries spécialisées, vivant en l'absence d'oxygène, décomposent la matière organique en produisant du méthane comme sous-produit de leur métabolisme.
Ce processus, appelé méthanogenèse biogénique, est particulièrement important dans les sédiments récents et peu profonds, où les températures sont encore relativement basses. Le gaz biogénique peut représenter une part importante des réserves de gaz naturel dans certains bassins sédimentaires, notamment dans les gisements de gaz de charbon.
L'activité bactérienne peut également influencer la composition du gaz naturel en consommant sélectivement certains composés ou en produisant des gaz secondaires comme le dioxyde de carbone ou le sulfure d'hydrogène.
Maturation thermique du kérogène
La maturation thermique du kérogène est le processus central dans la formation du gaz naturel thermogénique. Le kérogène, matière organique insoluble présente dans les roches sédimentaires, subit une série de transformations chimiques sous l'effet de la chaleur et de la pression au cours du temps géologique.
Ce processus peut être divisé en plusieurs étapes :
- Diagenèse : formation initiale du kérogène à partir de la matière organique sédimentaire
- Catagenèse : transformation du kérogène en hydrocarbures liquides et gazeux
- Métagenèse : craquage des hydrocarbures liquides en gaz légers
La nature et la quantité des hydrocarbures produits dépendent du type de kérogène (I, II, ou III) et de son degré de maturation. Le kérogène de type I et II, dérivé principalement de matière organique marine, tend à produire plus d'huile, tandis que le type III, issu de matière organique terrestre, est plus propice à la formation de gaz.
Au fur et à mesure que la maturation progresse, la composition du gaz évolue. Dans les premiers stades, le gaz produit est "humide", riche en hydrocarbures plus lourds que le méthane. Avec l'augmentation de la température, le gaz devient progressivement plus "sec", composé presque exclusivement de méthane.
Mécanismes de migration et accumulation
Migration primaire depuis la roche-mère
La migration primaire est la première étape du voyage du gaz naturel depuis sa roche-mère vers son réservoir final. Ce processus complexe implique le mouvement des molécules de gaz à travers les pores microscopiques de la roche-mère. La migration primaire est déclenchée par la surpression générée lors de la transformation du kérogène en hydrocarbures, un phénomène appelé expulsion .
Plusieurs mécanismes sont proposés pour expliquer cette migration :
- Diffusion moléculaire : mouvement des molécules de gaz le long d'un gradient de concentration
- Écoulement en phase continue : déplacement du gaz sous forme de bulles ou de phase continue
- Solution dans l'eau
L'efficacité de la migration primaire dépend fortement de la porosité et de la perméabilité de la roche-mère, ainsi que des propriétés physico-chimiques du gaz et des fluides environnants. Ce processus peut prendre des millions d'années et n'est souvent que partiellement efficace, une grande partie du gaz restant piégée dans la roche-mère.
Migration secondaire vers les réservoirs
La migration secondaire désigne le déplacement du gaz naturel depuis la roche-mère vers les roches réservoirs où il s'accumule. Ce mouvement se fait généralement à travers des roches plus perméables ou le long de failles et de fractures. Le gaz, étant moins dense que l'eau et le pétrole, a tendance à se déplacer vers le haut, suivant le principe de flottabilité.
Plusieurs facteurs influencent la migration secondaire :
- La pression : les différences de pression entre les zones créent un gradient qui pousse le gaz à se déplacer.
- La perméabilité des roches : les chemins de migration préférentiels sont les roches les plus perméables.
- La géométrie des couches géologiques : les structures anticlinales favorisent l'accumulation du gaz au sommet.
La migration secondaire peut se faire sur de grandes distances, parfois plusieurs dizaines de kilomètres, avant que le gaz ne rencontre un piège géologique où il s'accumule.
Pièges structuraux et stratigraphiques
L'accumulation du gaz naturel en quantités exploitables nécessite la présence de pièges géologiques. Ces pièges sont des configurations du sous-sol qui empêchent la migration ultérieure du gaz, créant ainsi des réservoirs. On distingue principalement deux types de pièges :
Les pièges structuraux sont formés par la déformation des couches géologiques. Les plus courants sont :
- Les anticlinaux : plis convexes des couches sédimentaires où le gaz s'accumule au sommet
- Les failles : discontinuités dans les roches qui peuvent créer des barrières imperméables
- Les dômes de sel : structures qui déforment les couches sus-jacentes, créant des pièges
Les pièges stratigraphiques, quant à eux, sont liés aux variations de nature des roches. Ils comprennent :
- Les biseaux stratigraphiques : amincissement progressif d'une couche perméable
- Les barrières de perméabilité : changements latéraux de faciès créant des zones imperméables
- Les discordances : surfaces d'érosion recouvertes par des roches imperméables
La combinaison de ces différents types de pièges peut créer des gisements de gaz naturel complexes et de grande taille. L'efficacité d'un piège dépend de la qualité de sa couverture, généralement une roche imperméable comme de l'argile ou du sel, qui empêche la fuite du gaz vers la surface.
Techniques d'exploration et d'extraction
Sismique réflexion et imagerie du sous-sol
La sismique réflexion est une technique géophysique fondamentale dans l'exploration du gaz naturel. Elle permet d'obtenir une image détaillée du sous-sol en analysant la réflexion d'ondes sismiques sur les différentes couches géologiques. Le principe est similaire à celui d'un échographie médicale, mais à l'échelle de la croûte terrestre.
Le processus implique plusieurs étapes :
- Génération d'ondes sismiques à la surface (par explosion ou vibration)
- Propagation des ondes dans le sous-sol
- Réflexion des ondes sur les interfaces entre les couches géologiques
- Enregistrement des ondes réfléchies par des géophones
- Traitement informatique des données pour créer une image du sous-sol
Les géologues et géophysiciens interprètent ces images pour identifier les structures susceptibles de contenir du gaz naturel, telles que les anticlinaux, les failles, ou les changements de faciès. La sismique 3D, développée ces dernières décennies, offre une résolution encore plus fine et permet de mieux caractériser les réservoirs potentiels.
Forage directionnel et horizontal
Le forage directionnel et horizontal a révolutionné l'industrie du gaz naturel en permettant d'accéder à des réserves auparavant inaccessibles ou non rentables. Contrairement au forage vertical traditionnel, ces techniques permettent de dévier le puits pour suivre la géométrie des couches géologiques ou atteindre plusieurs cibles à partir d'un seul point de surface.
Le forage directionnel permet de :
- Atteindre des réservoirs situés sous des zones sensibles en surface
- Exploiter plusieurs réservoirs à partir d'une seule plateforme, réduisant l'empreinte environnementale
- Augmenter la surface de contact entre le puits et le réservoir, améliorant la productivité
Le forage horizontal, extension du forage directionnel, consiste à forer un puits qui suit horizontalement une couche géologique productive sur plusieurs centaines, voire milliers de mètres. Cette technique est particulièrement efficace pour exploiter les réservoirs minces ou les gisements de gaz non conventionnels comme le gaz de schiste.
Fracturation hydraulique pour gaz de schiste
La fracturation hydraulique est une technique controversée mais essentielle pour l'exploitation du gaz de schiste. Elle consiste à injecter sous haute pression un mélange d'eau, de sable et de produits chimiques dans le puits pour créer des fissures dans la roche et libérer le gaz piégé dans les pores microscopiques.
Le processus se déroule en plusieurs étapes :
- Forage d'un puits vertical puis horizontal dans la couche de schiste
- Perforation du tubage du puits dans la section horizontale
- Injection du fluide de fracturation à haute pression
- Création et propagation de fissures dans la roche
- Injection de sable pour maintenir les fissures ouvertes
- Récupération du gaz libéré à travers le puits
Cette technique a permis d'exploiter d'immenses réserves de gaz auparavant inaccessibles, notamment aux États-Unis, transformant le paysage énergétique mondial. Cependant, elle soulève des préoccupations environnementales importantes, notamment concernant la consommation d'eau, la pollution des nappes phréatiques et l'induction potentielle de séismes.
L'évolution des techniques d'exploration et d'extraction du gaz naturel illustre la constante innovation de l'industrie pour répondre aux défis d'une demande énergétique croissante, tout en soulevant des questions cruciales sur l'équilibre entre exploitation des ressources et protection de l'environnement.